Histoire de communication

Publié le par sportsfans

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Depuis le début de la Coupe du Monde de rugby, organisée en Nouvelle-Zélande, le sélectionneur de l'équipe de France, qui disputera la finale dimanche matin à 10 heures (en France) face aux All Blacks, ne mâche pas ses mots. Description d'une telle attitude et de ses effets.

 

 

On en viendrait à croire que Marc Lievremont n'est jamais un homme pleinement satisfait. Et qu'être assuré d'affronter la Nouvelle-Zélande en Nouvelle-Zélande dans le cadre de la finale de la Coupe du Monde de rugby, et ainsi réaliser le rêve, le fantasme de ces Bleus, ne le contente pas. Alors perfectionniste Lievremont ?

 

Pas vraiment si l'on en croit ses déclarations après la demi-finale remportée in extremis contre le Pays de Galles (9-8). Un match calamiteux des Français, qui ont subi les assauts incessants des Gallois, pourtant très tôt réduits à 14 contre 15. La défense bleue est le seul point de satisfaction pour des Français bien pâlots en attaque et dans les contacts, clairement à l'avantage des Britanniques. Et seule la maladresse, couplée à de la malchance, du buteur gallois a permis à la France de passer en finale, pour la plus grande détresse des supporters du XV du Poireau, qui ont assisté à une bouillie de rugby. À tel point que Fabien Barcella a ainsi reconnu que sa sélection avait joué comme «une équipe de Fédérale». Et que la presse locale se déchaîne sur les Bleus, et rivalisent de qualificatifs pour désigner cette victoire au rabais («Trahison», «Honte» en une des journaux).

Lievremont n'a lui retenu que la victoire et la présence de sa sélection en finale. On peut le comprendre, après les moultes critiques qui se sont abattues sur lui et son staff, qu'on disait incapable d'atteindre ce stade-là de la compétition. Le coach des Bleus, qui sera remplacé quelque soit le résultat dimanche en finale par Saint-André, n'a pas estimé cette victoire comme une «injustice», et rajoutant qu'il n'y avait «pas de honte à aller en finale après un match comme ça». Et concluant sa conférence en annonçant être champion du monde, peu importe que la manière soit au rendez-vous.

 

Mais Lievremont n'a pas gardé longtemps sa bonne humeur, revenant vite dans un domaine où il excelle : l'art d'utiliser des termes très forts, parfois violents à l'égard de personnes, et dont raffolent les journalistes. Pendant toutes les conférences de presse, Lievremont a souvent fait preuve de franchise dans ses propos, n'hésitant pas à harponner ceux qui étaient dans son collimateur. Et on retiendra de cette Coupe du Monde qu'il ne vaut mieux pas y être.

Les joueurs furent les premiers à être visés. Deux victoires peu convaincantes et pas du goût du sélectionneur face au Japon et au Canada ont vite fait d'énerver au plus haut point l'homme de Dakar. Imanol Harinordoquy s'est fait remonter les bretelles, accusé d'être «dilettant» sur le terrain.

Vinrent ensuite le tour des journalistes, avec le désormais célèbre «Tu m'emmerdes avec ta question» assené à un journaliste cloué et bien désemparé par la réaction de Lievremont. La nuit porte conseil dit-on, mais n'apporte pas le calme chez ce dernier. Au lendemain de la cuisante défaite contre les Néo-Zélandais en poule, et donc de cette réaction viscérale, Lievremont n'a pas pu s'empêcher de dégainer de nouveau. Et ce fut au tour de Richard Escot, du journal L'Équipe, d'être la cible du coach du XV de France.

La défaite ensuite face au Tonga n'a pas eu le don de le calmer. On peut le comprendre. Et ce fut de nouveau au tour des joueurs de recevoir une volée de bois vert. Et Lievremont de faire la comparaison avec l'équipe de France de football et les mutins de Knysna, les grévistes du bus, en accusant ses joueurs de «ne pas être sorti du bus».

 

Ces réactions peuvent se comprendre. Sous le choc d'une défaite ou d'une victoire péniblement acquise, sous le coup de la déception, les mots peuvent ne pas être calculés, pesés, bien mesurés. Et que la défaite n'es pas acceptable pour un sportif, même contre la meilleure équipe de rugby au monde. Au final, on peut penser qu'ils ont eu leur part de responsabilité dans la prise de conscience du XV de France, lors de la semaine suivant le match désastreux contre les Tonga et précédant la belle victoire en quart de finale contre le XV de la Rose. De par leur portée médiatique très forte, les mots de Lievremont ont montré aux joueurs de l'équipe de France à quel point le bilan était médiocre. Et que l'attitude des Bleus laissait à désirer. Dans un premier temps, on a cru à une fracture, une dichotomie entre les joueurs et Lievremont, à cause des ses propos, et c'est finalement l'inverse qui s'est déroulé. Ces paroles fortes, empruntes de colère et de déception ont eu un effet déclencheur, ou au moins catalyseur de la rédemption française.

 

Pourtant, Lievremont est peut-être allé trop loin dimanche matin dans cet exercice de petites phrases assassines. Après la victoire face au Pays de Galles, les joueurs ont enfreint les règles du staff tricolore, qui avait interdit tout virée nocturne pour fêter la qualification en finale. Et cela n'a pas du tout plu au sélectionneur, qui ne s'est pas fait prier pour tirer à tout-va sur son effectif. Les mots sont forts, durs et peuvent même être blessants. Lievremont parle de «sales gosses», qu'il juge «individualistes, désobéissants, égoïstes, toujours à se plaindre, toujours à râler». Et réservant le plus ébahissant pour la fin en déclarant qu'ils lui «cassaient depuis quatre ans».

Certes, les Bleus n'ont pas respecté les règles définies par le staff technique, et Lievremont a peut-être voulu se positionner en garant de l'intolérance et montrer qu'il ne permettait pas les interdits. Mais les mots du coach sont démesurés par rapport à la gravité des faits incriminés aux joueurs. Et ne lancent pas idéalement la dernière semaine avant l'échéance finale.

 

Lievremont se permet aussi une liberté de ton du fait qu'il sait que son poste ne sera pas renouvelé, même en cas de victoire triomphante, et surprise, contre les All Blacks, et qu'il n'aura pas à assumer ses propos. L'objectif est désormais simple : gagner la finale et parachever de la plus belle des manières cette 7ème Coupe du Monde de rugby.

 

Jérôme COLLIN

Publié dans Rugby

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