Stratégies validées

Publié le par Jérôme COLLIN

Certains se morfondaient d’ennui devant les matchs de la sélection espagnole, d’autres n’attendaient que le trébuchement d’une Roja qui ne laisse pas une miette à ses adversaires depuis quatre ans déjà.
Ceux-là devront s’armer de patience encore quelques mois, voire quelques années. L’Espagne n’est pas décidée à redescendre de son nuage, perchée qu’elle est depuis l’Euro 2008 et sa victoire contre l’Allemagne.


800px-Spain_and_Portugal_match_at_the_FIFA_World_Cup_2010-0.jpgDe 2006 à 2008, et plus largement de 2006 à 2012, les Espagnols sont passés de maudits, malchanceux et d’équipe incapable de franchir les matchs à élimination directe; à une sélection qui se goinfre de tous les titres dont elle peut se nourrir. Ce n’est pas faux, car hormis l’Euro en 1964, le palmarès espagnol restait désespérément vide à l’aube du championnat d’Europe 2008, organisé conjointement par la Suisse et l’Autriche. Comment diable une sélection pourtant talentueuse (l’effectif en 2006 ne fait pas peine à voir!) a réussi à se transcender dans un premier temps pour enfin toucher le Graal, puis pour conserver un tel niveau de performance d’autre part? Par quels ressorts « l’exécutif » espagnol (entendez la Fédération Espagnole de Football et le staff technique de la sélection) a su manœuvrer pour faire de ses protégés un foudre de guerre?

De deux choses l’une. D’une part, Vincente Del Bosque a certes su parfaitement prolonger la belle aventure engagée par l’Espagne lorsqu’il a repris

la sélection suite à son sacre européen de 2008, mais  il a pu profiter du travail de fond, de sape, et audacieux de son prédécesseur Luis Aragones. Ce dernier, forte tête, connu pour ses dérapages verbaux intempestifs, a réussi à imposer sa vision du jeu espagnol, il a su mettre en place l’évolution qu’il souhaitait appliquer à la Roja. Mieux encore, Aragones a ouvert la voie des succès.

Flashback. Juin 2006. Huitième de finale de la Coupe du Monde en Allemagne. L’Espagne s’apprête à affronter l’équipe de France, sortie peu glorieusement de son groupe composé du Togo, de la Suisse et de la Corée du Sud. Les Espagnols s’avancent sûr de leur force, veulent « envoyer Zidane à la retraite » et se frotter aux Brésiliens. Malgré l’ouverture du score sur penalty, la Roja ne peut rien faire face à la furia française, symbolisée par l’insouciance et l’appétit de Ribéry, la maestria de Zidane, la fermeté du duo Makelele-Vieira. Bref, les Espagnols sont dépassés et rentrent à la maison sans titre une fois de plus, mais entichés d’un orgueil très mal placé. La tête basse, Aragones et le football espagnol ne s’arrête pourtant pas à cette déception. L’objectif est d’immédiatement remonter la pente, et lancer un grand plan pour l’avenir.
À grande décision, les grands moyens. Aragones n’hésite pas à multiplier les coups de balais dans sa sélection. Et notamment un qui lui vaudra de sérieuses critiques de la part de la presse, mais aussi des supporters espagnols, de l’ensemble des aficionados: le départ de Raul. L’attaquant du Réal Madrid, vedette parmi les vedettes en Espagne, élevé au rang de héros, de divinité du football, est botté sur la touche par Aragones. Les pétitions, les scansions de son nom partout où la Roja se déplace et joue une rencontre, les menaces même les plus extrêmes n’auront de cesse de proliférer. Vain effort. Aragones reste droit dans ses bottes et n’a que faire des critiques. Lui sait détenir le bon plan, et connaît les joyaux aptes à conduire cette équipe à un succès attendu depuis des ères.

Ces joyaux sont Xavi et Iniesta. Le premier est déjà un habitué de la sélection espagnole, mais sans Iniesta, il n’a pas le même impact sur le jeu de ses coéquipiers. Le second est bien de la partie en Allemagne, mais il est sur l’aile gauche, puis il ne dispute pas le huitième de finale. En 2006-2007, Iniesta devient un véritable titulaire en puissance dans son club de toujours, le FC Barcelone, et prend un nouvelle dimension. Du pain béni pour le sélectionneur espagnol, qui peut enfin associer les deux dans l’entre-jeu, et leur confier les clés du jeu. Avec la fin de l’omnipotent Raul Gonzalez en pointe de l’attaque ibère, la nouvelle pousse prend enfin ses marques, et empile les buts. D’un côté, David Villa qu’on ne présente plus. De l’autre, Fernando Torrès, encore jeune mais au potentiel indéniable. D’autres joueurs font leur entrée dans cette sélection. Parmi eux, le premier buteur face à l’Italie: David Silva. L’ailier gauche, alors à Valence, est un feu-follet qui joue de sa technicité et de sa vivacité pour se faufiler sur son côté et provoquer les fautes et amener constamment le danger.
Mélange d’expérience avec des joueurs présents depuis de nombreuses années (Casillas, Xavi, Ramos…) et d’autres qui n’ont guère eu leur chance par le passé ou qui se révèlent, cette équipe espagnole se dirige avec plus de confiance à l’Euro 2008.

La suite, on la connaît. 2008-2010-2012, un triplé historique, mieux que la RFA qui n’avait pas su remporter sa finale de l’Euro, suite à une victoire dans cette même compétition quatre ans plus tôt et au Mondial 74. Le championnat d’Europe il y a quatre ans a démontré l’instinct de génie d’Aragones, et le couronne de succès après plusieurs essais infructueux. Avoir fait confiance à des jeunes, à des joueurs au bagage technique redoutable et qui met en arrière-plan leur faiblesse physique, avoir souhaiter renouveler partiellement l’effectif de la sélection était ce qu’il fallait faire. Aragonès l’a fait.

Eurocup_Trophy.JPG


La conscience sereine, le travail effectué avec réussite, Aragones a cédé sa place à un autre entraîneur de renom, Vincente Del Bosque. Celui qui se fit refouler comme un malpropre par Florentino Pérez six ans avant du Réal Madrid, tout juste auréolé pourtant d’une victoire en Ligue des Champions, avait besoin d’un nouveau challenge lui permettant de prouver une fois de plus son immense talent. Le pari n’était pas aisé, la marche aurait pu être trop haute. Les doutes se sont rapidement assoupis aussitôt les résultats enregistrés venus. L’élimination en demi-finale de Coupe des confédérations sèmera un peu le doute. Mais les 10 succès en 10 matchs de l’Espagne lors des éliminatoires pour le Mondial 2010 suffisent à prouver l’entier talent de cette sélection.
Loin de se reposer sur le travail d’Aragonès, le nouveau sélectionneur a voulu imposer sa griffe sur cette équipe. Dans la composition d’équipe d’une part, avec l’incorporation de nouveaux éléments aboutissant à une « barcelonisation » de la Roja (au total le tiers de l’effectif est changé par rapport à 2008). Dans l’esprit de jeu d’autre part, avec une volonté de conserver le ballon, de faire le jeu soi-même. Les deux sont d’ailleurs liés, puisque le jeu du club catalan repose essentiellement sur cette possession outrageuse du ballon, qui ressemble presque à une confiscation pure et simple. Progressivement, les Espagnols en arrivent à tenir le ballon plus de 60% du match. Paradoxalement, ils en perdent en efficacité offensive. À faire tourner le ballon sans discontinuité ou presque, les Espagnols n’osent plus prendre des risques inconsidérés, des passes vers l’avant. Mais ils gagnent en sécurité défensive, et surtout en gestion. Une fois que l’Espagne mène, rares sont les équipes capables de relancer le match en égalisant. Preuve en est avec les trois buts concédés sur les deux dernières compétitions internationales (Coupe du Monde 2010, Euro 2012).

De plus, Del Bosque a su pimenter son équipe, l’améliorer, la consolider en procédant à plusieurs retouches dans son effectif de joueurs. Le latéral gauche espagnol Jordi Alba symbolise cette nouvelle fournée talentueuse, audacieuse et impliquée. Ce roulement de l’effectif permet également à l’ensemble des joueurs de se sentir concerné, et de ne jamais mettre fin aux ambitions de l’équipe. Xavi et Iniesta ont remporté ces trois dernières années avec Pep Guardiola et le FC Barcelone 14 titres! Pour autant, ils ont encore le désir de remporter des récompenses collectives.
Cet Euro 2012 aura également marqué l’évolution stratégique de la sélection espagnole menée par Del Bosque. Ce dernier a privilégié tout au long du tournoi de ne pas titulariser un véritable attaquant en pointe, préférant accorder sa confiance à Fabregas (ce dernier lui la rendant de bien belle manière avec un tournoi abouti statistiquement et dans le jeu). L’absence de David Villa pour blessure a bien évidemment joué dans ce choix, mais il n’a en aucun cas perturbé le jeu espagnol, il ne l’a pas grippé. Avec le retour de l’attaquant blaugrana, force est de constater que la Roja sera encore plus redoutable pour l’ensemble de ses adversaires. Techniquement au-dessus du lot, mentalement impériale, défensivement intraitable (pour une défense qu’on jugeait pourtant fragilisée par l’absence de Carlos Puyol, capitaine et défenseur emblématique) et efficace offensivement, cette équipe ne paraît avoir aucun défaut, et marche sur les autres pays avec une autorité gracieuse.

L’équipe est encore assez jeune (Casillas aura 33 ans au Brésil, Ramos 28 ans, Iniesta 29 ans, Torres 30 ans), et la relève est d’ores et déjà assurée et de niveau assez proche (Jordi Alba étrennera le maillot catalan l’an prochain et pourra donc se frotter à ce qui se fait de mieux, Juan Mata est champion d’Europe en titre, Fernando Llorente est un buteur hors-pair) que celle d’aujourd’hui, qui a écrit les plus belles heures du football.



Jérôme COLLIN

Publié dans Football

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article